Récit de Karl Lorient
L’idée de refaire un Ultra Trail en 2012 est partie d’une soirée bien arrosée en 2008 où nous fêtions notre succès à la Diagonale des fous cette même année. Nous étions 5 à avoir bouclé les 150 km du Grand Raid de la Réunion, 5 amis depuis reliés à jamais par ce lien très fort d’avoir partagé une même aventure. Nous avons tous signé sur un bout de papier notre engagement à recommencer 4 ans après pour les 20 ans de la course. Les circonstances ont fait que seulement 3 partiront cette année à la Réunion et que j’ai du opter pour le Grand Raid des Pyrénées.
J’avais décidé de construire ma préparation 2012 en 2 étapes. Les 6 premiers mois de l’année consacrés à l’entraînement triathlon pour réaliser un Ironman début Juin à Salou (Espagne) puis 3 mois spécifiques Trail. Le 1er objectif s’est bien déroulé malgré une préparation commencée tardivement en mars. Le mois de Juin fut un peu contrarié par une légère blessure au mollet après une reprise d’entrainement trop précipitée (les fameux enchainements à Pierroton). Le mois de Juillet, tronqué par des vacances en Floride (priorité à la famille), me laissait 15 bons jours d’entraînement intensif avec repérage du parcours avant de relâcher une 10aine de jours avant la course. Les 2 jours de repérage dans les Pyrénées ne m’ont pas du tout rassuré. J’avais beau avoir une faim d’alligator depuis la Floride, je me sentais vraiment petit devant l’ampleur de la tache et le stress montait réellement à l’approche du jour J.
Vendredi 24/08/12, 7h00. Le départ est donné. La veille les organisateurs ont décidé de décaler de 2 h le début de course à cause d’un vent trop violent au Pic du Midi. Malheureusement, les barrières horaires restent inchangées (à part les 2 premières). Le temps maximum de course est maintenant de 48h (au lieu de 50h) et pour passer au sommet du Pic du Midi il va falloir prendre au moins 2h d’avance sur la première partie du parcours. Concrètement, ceux qui arrivent avant 15h00 au pied de l’observatoire seront autorisés à aller au sommet, les autres seront dispensés mais prendront 5h00 de pénalité. Est-ce une décision judicieuse ? Environ 2h d’effort supplémentaire au risque de se rapprocher dangereusement des limites horaires et de la disqualification contre 5h00 de pénalité ? Dans les faits ce fut la cause de beaucoup d’abandons…
Le début de course se passe très bien. Je me place en milieu de peloton, je cours sur les replats .Les jambes sont bonnes. La 1ère longue descente (12km) commence quand même à laisser des traces car la chaleur fait son apparition et j’ai à l’esprit qu’il faut prendre 2h d’avance sur les barrières pour être serein, il ne faut donc pas traîner.
Au 30ème km, je fais un bisou à la famille qui m’attend, il est 12h50, j’attaque la montée du Pic du Midi. Il faut que je garde le rythme si je veux arriver avant 15h00 au pied de l’observatoire. Il fait maintenant très chaud. Je commence à voir de plus en plus de concurrents qui s’arrêtent sur le bord du chemin. Je suis surpris par autant de défaillances. La montée est très longue et au bout d’un moment, moi aussi, je finis par accuser le coup. Je sens que je suis déshydraté et l’estomac commence à faire le fainéant .Bien sûr, c’est à cet instant que la pente est la plus forte…j’arrive péniblement au col intermédiaire, il est 15h45. On me signale que je n’irai pas au sommet et je prends donc 5h00 de pénalité. Je suis à la fois déçu de ne pas aller voir le point culminant du parcours et soulagé de ne pas continuer la montée. J’ai du coup 1h d’avance sur la barrière horaire. La suite est une succession de petits cols très raides qui font très mal aux jambes d’autant que je n’ai pas encore réussi à me réhydrater et je manque totalement d’énergie. Le plaisir n’y est pas du tout et je me pose des questions sur les raisons de ma participation.
J’arrive finalement à Hautacam après 20km de galère, il est 21h00, je suis livide. Je suis persuadé que la prochaine barrière est à 22h00 tout en bas et il faut encore au moins 1h30 de descente. Cela signifierait que je suis virtuellement éliminé. Je ne suis qu’au 60ème km ! Je pense à tous les amis qui me suivent et me soutiennent, j’ai honte. Je retrouve mes proches qui patientent depuis un moment, je suis au bord des larmes (déjà…).On m’annonce alors que la barrière de 22H00 est ici! J’ai donc toujours 1h00 d’avance. Le moral revient. Le coca me remet d’aplomb assez rapidement. Je repars, tous les voyants sont revenus au vert. Il fait nuit.
Je cours dans la descente, je me sens nettement mieux et je peux envisager la suite avec optimisme. Il faudra peut-être que j’aille me faire soigner quelques ampoules en bas, à la base de vie. Sur place un repas chaud m’attend, je change de tenue, j’envisage vaguement de dormir un peu mais il me reste moins d’1heure avant la fermeture, tant pis. Je repars peu avant minuit pour la longue montée du Cabaliros. Des les premiers lacets je croise des concurrents qui redescendent et préfèrent abandonner après avoir essayé de repartir. La nuit, la notion de temps est différente. Je connais cette montée mais ça me paraît vraiment interminable et plus on progresse plus ça monte ! Dur pour le moral et les jambes. C’est déjà le petit matin quand j’attaque la descente, je ne suis pas fringant et je n’arrive pas à dérouler en descente. J’arrive en bas (Cauterets) juste avant 9h00 c’est environ le 100ème km. Il faut que je prenne sur moi pour réattaquer la montée du col de Riou dans la foulée d’autant que je vois autour de moi de nombreux concurrent qui s’arrêtent. C’est une montée assez régulière, pas excessivement difficile mais une douleur à la hanche gauche m’empêche de prendre mon rythme. Je dois faire des pauses régulièrement pour m’étirer. J’aperçois soudainement 2 personnes derrière moi qui montent d’un bon pas. Je réalise que ce sont les serre-files qui débalisent le circuit. Cela signifie que je suis dernier ! Ça me secoue un peu et je me replace avant dernier… un peu de marge, c’est meilleur pour le moral… ! Cette douleur m’handicape vraiment et m’irradie l’estomac jusqu’à la nausée, c’est curieux… une fois au sommet, les concurrents avec qui j’ai fait la montée me laissent littéralement sur place dans la descente et je me retrouve à nouveau bon dernier, seul dans la nature. Gros coup au moral. Je n’y crois plus. Je n’avance plus en montée, en descente mes pieds me font trop mal pour dérouler. Je prends la décision d’abandonner à la prochaine base de vie au km120. Je passe devant le ravitaillement de Luz Ardiden, je décide de ne pas m’arrêter, ça sera déjà un peu de temps de gagné et je m’embarque dans la descente de la station de ski, très pentue. Je réalise soudainement qu’il fallait quand même pointer mon dossard au contrôle. Je tente de remonter mais je n’ai pas le courage. Je me mets à paniquer et je me dis que je vais être mis hors course. Par chance, le PC course me contacte sur mon mobile et j’ai l’occasion de m’expliquer. Il me donne rendez-vous en bas. J’ai l’impression d’avoir une 2ème chance et je me mets à courir dans la pente, faisant fi de mes échauffements à la plante des pieds et tentant de coller à l’estimation très optimiste de mon temps de descente que j’ai donné par téléphone. Ceci me relance dans la course. Je dépasse quelques concurrents. Le moral est revenu. Je revois mes proches à la base de vie, c’est réconfortant. Je décide de continuer. Je suis toujours gêner par ma hanche dans les montées mais tant que ça avance… Je revois mes amis serre files derrière moi…ils sont sympas, mais ça met quand même une certaine pression. J’arrive au pied du col de Barèges ou l’on croise les coureurs du 80km. Bon, il n’y a plus grand monde mais je peux voir encore ma famille et quelques amis ce qui est très important à ce moment pour me donner le courage d’affronter encore un gros morceau. La nuit tombe à nouveau. Le chemin est maintenant un pierrier et devient très usant. La pente s’accentue et je n’aperçois pas le sommet. Je n’ai plus beaucoup de forces, j’ai vraiment froid, chaque balise devient un objectif mais je sais que si je bascule de l’autre côté, j’arriverais au bout. Samedi 25/08, 23h00, enfin la descente, très technique mais à l’abri du vent. Je suis serein maintenant. Je fais attention de ne pas me blesser et je profite de l’instant. Je suis complètement seul en communion avec la nature. Au bout d’un certains temps j’ai l’impression de tourner en rond. On dirait qu’il y a une éternité que je descends vers le lac de l’Oule. J’aperçois des lampes frontales éparpillées, je croise de temps en temps des concurrents qui dorment dans leur couverture de survie. La lassitude me gagne, je n’arrive pas à sortir de ce chemin. Je m’assois 5 minutes pour dormir mais j’ai vite froid. Il faut que je reparte. Je crois bien qu’on est plusieurs à tourner en rond. J’entends des appels au loin. Revoilà les serre-files ! Il y a apparemment un problème de balisage. Ils nous regroupent et nous remettent sur le bon chemin.
On arrive au dernier ravitaillement. C’est bien venu car je commence à trembler de partout. Une bonne soupe chaude me réchauffe un peu. Les organisateurs décident d’organiser un gruppetto d’une dizaine de personnes et de nous accompagner sur les derniers 15km. On attend une 20aine de minute avant de repartir. Il est 3h00. Une personne devant mène un bon tempo pendant que les autres enlèvent le balisage. Sur un malentendu, à la croisée d’un chemin, on s’engage dans la mauvaise direction. On prend tous sur nous depuis un moment pour garder le rythme imposé, on n’est plus très lucide après une 2ème nuit sans dormir, et il faudra environ 3 bons km avant qu’on se résolve à faire demi tour. Rebrousser chemin à ce niveau là de la course est une vraie torture. On perd une grosse ½ heure dans l’histoire.
Il reste maintenant environ 400m de dénivelé en descente. On nous dit que chacun est libre et peut prendre son propre rythme pour terminer. Certains se mettent à courir. Le gruppetto explose .J’aurai apprécié arriver en groupe mais je me retrouve rapidement tout seul. Il n’est pas loin de 7h00. J’ai le pressentiment que les organisateurs ne sont pas forcément au courant du temps qu’on a perdu à descendre sous escorte et je risque peut-être d’être hors délai. N’oublions pas que j’ai beau avoir passé toutes les barrières horaires dans les temps, il faut quand même finir en moins de 48h ! Je me mets à courir comme je peux, je dépasse 2 concurrents et termine les 3 derniers km de plat sur la route comme un dératé. Je traverse le village endormi et passe la ligne d’arrivée à 7h23. Je suis accueilli par une poignée de bénévoles et par mes proches qui n’ont pas beaucoup dormi non plus et attendent depuis un sacré moment. Des larmes viennent me rafraîchir le visage endurci par l’effort, je peux me laisser aller maintenant. Grosse émotion. Je me rends compte assez vite à travers les regards que quelque chose ne va pas et je comprends que je suis hors délai. Le speaker venait de faire joyeusement le décompte du temps limite de course juste avant… Mon sang ne fait qu’un tour et je clame à qui veut m’entendre que j’aurai pu gagner quasiment 1 h si on m’avait autorisé à descendre tout seul, que je ne me suis pas cassé le cul pendant 48h pour rien…. Je trouve un responsable qui m’annonce que tous les finishers seront classés et qu’il n’y a pas à s’en faire…Comme quoi, il me restait un peu d’énergie.
Dimanche 26/08, 7h45. Je me fais soigner les pieds une dernière fois et me laisse griser dans la douce torpeur de l’accomplissement d’une mission impossible.
Merci à toutes les personnes présentes ou distantes qui m’ont soutenu pendant toute la course. Je ne veux pas citer de
noms car vous avez été tous importants à différent moments, par votre présence, votre parole, votre pensée. Vous vous reconnaîtrez et vous avez une place à part entière dans mes souvenirs de
courses même si je n’en parle pas forcément dans le récit.
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